Présentation
A peine quarante ans nous séparent de la création du secteur psychiatrique en France - mais quelle accumulation de changements durant cette période !
La clinique psychiatrique a changé. Nos prises en charge médicamenteuses et institutionnelles ont modifié la symptomatologie psychotique - et parfois aussi le destin de ceux qui en sont affligés. Mais dans bien des équipes, la pénurie médicale ne permet plus l'implication du psychiatre dans le quotidien du soin. Son rôle se réduit-il alors aux prescriptions médicamenteuses ? La dimension psychothérapique du soin institutionnel est-elle encore prise en compte, aussi bien à l'hôpital que dans les structures extra-hospitalières ? Quelles sont les conséquences de ce changement dans la dynamique du soin ? Faut-il inventer d'autres pratiques, reconsidérer la place de chacun des intervenants dans le dispositif ?
Le destin de la souffrance psychique a changé. Elle est désormais très souvent accueillie par des professionnels non psy. D'une part les médecins généralistes et les travailleurs sociaux concernés par des adultes aux prises avec les échecs à répétition, le surmenage pour les uns, le chômage pour les autres, la précarité professionnelle pour beaucoup, l'endettement chronique, l'éclatement familial. D'autre part les enseignants, les éducateurs spécialisés ou les policiers sollicités pour des enfants dont l'évolution affective a été perturbée par la démission parentale, l'abandon ou la violence. L'intervention en première ligne de ces professionnels place les soignants psychiatriques dans la nécessité de collaborer avec eux, de sortir de leur "splendide isolement", de renoncer au dogme de l'attente de la demande, d'inventer de nouvelles réponses.
Les rapports sociaux ont changé. Les places respectives de la loi, des interdits, de la fonction paternelle sont radicalement différentes de ce qu'elles étaient il y a quelques décennies. Il en est de même des liens régissant les relations entre les sexes et les générations, constitutifs du socle de l'organisation mentale de chaque être humain. L'image et la place du psy dans la société actuelle ont changé, et sont aujourd'hui à l'origine de bien des malentendus. Abusivement sollicités pour donner un avis ou intervenir dans la gestion des rapports humains au sein de la famille, de l'entreprise, de l'école, n'auraient-ils pas à rappeler que leur seule vocation est de restaurer la vie psychique, de sauvegarder l'intimité et de la subjectivité de chacun dans ce qu'elle a de plus irréductible ?
Comment ne pas être inquiet devant une évolution de l'organisation des soins qui donne la priorité à la gestion des moyens matériels et humains et non plus aux implications cliniques de telle ou telle particularité du dispositif soignant ? Comment rendre compte de nos activités soignantes pour que soient entendus leur place et leur rôle dans la trajectoire thérapeutique et personnelle du patient - et pas seulement leur efficacité immédiate sur les symptômes ? Comment dépasser une simple codification de nos pratiques et accéder à une réflexion épistémologique sur la validité des théories soignantes en psychiatrie ? Comment repenser la clinique du sujet dans son tissu familial et social ?
Comment satisfaire aux exigences économiques de rentabilité tout en restant fidèle à la finalité de notre travail ? Comment justifier auprès de nos interlocuteurs gestionnaires la priorité de la dimension relationnelle, la nécessité de prendre son temps, parfois même d'accepter de le perdre ?
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Telles étaient les questions soulevées par l'argument de présentation du onzième Cours sur les techniques de soin en psychiatrie de secteur, organisé à Villeurbanne en mars 2002 par l'Association "Santé Mentale et Communautés" sur le thème "Malaise dans la psychiatrie". Le présent volume réunit les réponses apportées à ces questions par les dix-sept auteurs invités à faire bénéficier de leur expérience et de leur réflexion les participants à cette manifestation. Comme à chacune des sessions de ce Cours, qui a lieu tous les deux ans depuis une douzaine d'années, le thème proposé a été librement traité par chacun des conférenciers. L'ensemble constitue donc une sorte de journal à plusieurs voix, rédigé par des auteurs venus de divers horizons géographiques ou théoriques, autour de cette question du malaise dans la psychiatrie actuelle - malaise perceptible dans beaucoup d'équipes soignantes, et perçu par la plupart des intervenants en psychiatrie.
Il n'est pas inutile d'attirer l'attention du lecteur sur le fait que l'argument initial se référait à un malaise dans la psychiatrie, et non à un malaise de la psychiatrie. En le rédigeant, nous n'avions pas conscience de l'importance de cette nuance sémantique. Pour les dictionnaires, le terme malaise désigne, soit une sensation pénible de trouble physique, soit une inquiétude, une gêne, soit un mécontentement social latent. Et ces mêmes dictionnaires définissent la psychiatrie comme une branche de la médecine consacrée à l'étude et au traitement des maladies mentales. Il est bien évident que la sensation pénible, l'inquiétude, l'inconfort, le mécontentement latent, ce n'est pas la "branche de la médecine" qui l'éprouve, ce sont ses acteurs : les soignants.
Il est possible de lire tout le contenu de ce Cours par référence à ce malaise actuel des soignants, dont il est urgent de tenir compte. N'importe quelle tâche est toujours mieux accomplie si elle l'est avec l'adhésion de ceux qui en sont les acteurs - mieux encore, s'ils ont plaisir à la remplir. Dans notre discipline où un des principaux outils utilisés par ces acteurs est leur propre vie psychique - leurs pensées, leurs émotions -, il est évidemment essentiel que cet outil soit disponible et utilisable avec le moins de contraintes possible, intérieures certes, mais aussi extérieures.
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Nous sommes depuis longtemps familiarisés avec l'idée que les particularités de notre travail - essentiellement la proximité avec la pathologie psychotique - suscitent en nous une certaine souffrance psychique. Un des intervenants à ce Cours, Nicolas CAPPAROS, psychiatre et psychanalyste à Madrid, a centré son exposé sur la description des phénomènes psychiques projectifs auxquels les analystes kleiniens ont consacré de très nombreuses et pertinentes études. C'est dans le fonctionnement psychotique que cette projection des contenus et des processus mentaux sur le monde extérieur - et plus particulièrement sur les interlocuteurs investis - est la plus active. Elle devient alors pour ceux qui en sont les destinataires, au premier rang desquels les soignants, une source de souffrance psychique contre-transférentielle. Sachons gré à ces analystes pionniers de nous avoir dotés d'outils conceptuels grâce auxquels nous pouvons aujourd'hui, dans notre pratique psychiatrique quotidienne, repérer en nous ces productions exportées des patients, et donc vivre la proximité avec la psychose avec moins d'inconfort.
Ce sont d'autres outils conceptuels que nous a apportés Philippe DAVEZIES, enseignant-chercheur au laboratoire de Médecine du Travail de l'Université Claude Bernard à Lyon. Rejetant les lieux communs qui font de la surcharge de travail la principale source de souffrance psychique née du travail, il nous a montré qu'à charge de travail égale, ce qui fait la différence est la possibilité ou l'impossibilité d'agir. C'est le barrage à l'utilisation par un sujet de ses capacités - ce que cet auteur appelle "l'activité empêchée" - qui crée la souffrance, bien davantage que la quantité d'activité qui lui est demandée. Insistant sur la valeur essentielle de la reconnaissance par le sujet lui-même des enjeux de son travail et de la pertinence de son activité, il a tracé les grandes lignes d'une sorte de prévention subjective des nuisances du travail : reconquérir l'initiative, s'affirmer, se faire reconnaître.
N'est-ce pas parce qu'ils sont aujourd'hui dépossédés de cette capacité à être pleinement acteurs de leur vie professionnelle que tant de soignants psychiatriques apparaissent désabusés, déçus, inquiets ? Patrick VANDENBERGH, secrétaire général de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation de la région Rhône-Alpes, après avoir souligné l'emprise actuelle des facteurs économiques sur tous les acteurs de la santé, a évoqué les démarches nouvelles auxquelles ceux-ci sont confrontés : évaluation, accréditation, projet d'établissement, PMSI. Elles nous apparaissent comme autant de contraintes, d'épreuves que nous affrontons dans l'ignorance, l'impréparation et l'isolement. Le vécu de perte de maîtrise induit pas ces situations n'est-il pas à l'origine du malaise des soignants ? Cependant, ces démarches sont toutes de nature contractuelle, il ne tient qu'aux soignants de reprendre l'initiative face à ces exigences ou activités nouvelles, de sortir d'une attitude d'"activité empêchée", en renonçant au repli sur autant de chapelles centrées chacune sur son seul territoire géographique, technique ou théorique.
N'est-il pas temps, alors, pour les soignants psy, de s'appliquer à eux-mêmes la réflexion sur la souffrance psychique dont ils sont si familiers depuis quelques années ? Antoine LAZARUS, professeur de Santé Publique et de Médecine Sociale à l'Université de Paris-Nord s'est interrogé sur la pertinence du discours psy lorsqu'il est utilisé en dehors du champ institutionnel habituel. Ne court-il pas le risque de se dévoyer, soit en discours régulateur des conduites sociales, faisant de nous les "conseillers du prince", soit en message politique ? Nos foisonnants discours sur la souffrance psychique ne sont-ils pas en train de devenir un alibi - les bons sentiments remplaçant une authentique réflexion sur la société et se substituant à une action contre les causes de cette souffrance ?
C'est dans la souffrance psychique vécue par certains soignants psychiatriques que Stanislas TOMKIEWICZ, directeur de recherches honoraire à l'INSERM (Paris) voit le point de départ de la révolution psychiatrique des années cinquante : la douleur de leur situation d'exilés et de persécutés a sensibilisé les psy, réfugiés en Lozère pendant l'occupation nazie, au malheur vécu par les malades hospitalisés dans ce qui allait devenir un des hauts lieux de la révolution psychiatrique, l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban. S'interrogeant, à l'occasion de ce voyage rétrospectif à travers un demi-siècle de psychiatrie, sur les véritables facteurs de changement repérables durant cette période, cet auteur a souligné l'aspect révolutionnaire de la psychanalyse - première idéologie à avoir fait voler en éclats la barrière infranchissable séparant jusqu'ici le fou de la communauté des hommes.
De cette identification à l'autre, René ROUSSILLON, psychanalyste, professeur à l'Université Lyon-2, fait un élément primordial de la vie intersubjective. Ce processus s'impose à tout être humain - "nous n'avons pas le choix", affirme cet auteur - et fait donc courir à chacun un risque de confusion dont nous avons à nous protéger par divers procédés. Pénétrés par la douleur de l'autre, les soignants, pour ne pas être détruits par elle, ont volontiers recours à la théorie, ou plutôt aux théories qui sont par nature narcissiques, ne procèdent que d'elles-mêmes, négligeant le milieu comme l'histoire. Toute théorie reposerait-elle donc sur un fantasme d'auto-engendrement ?
Fantasme d'auto-engendrement dont Bernard CHAPELIER, Maître de conférences de psychologie à l'Université de Poitiers, note l'apparition dans les groupes thérapeutiques d'adolescents au sortir de la phase d'illusion groupale. Alors que dans les groupes d'enfants en période de latence, l'élément organisateur est la relation à l'adulte, dans les groupes d'adolescents, ce même adulte est mis de côté, nié dans sa fonction régulatrice, au profit de la toute-puissance anti-dépressive du groupe. Constatation clinique qui amène à s'interroger sur les places respectives, dans le processus de socialisation de tout individu, d'une part de l'image du père, classique élément de structuration de la personnalité, d'autre part des expériences groupales vécues à l'adolescence.
La question de l'autorité est au cœur de ce double processus de structuration de la personnalité et de socialisation : André CAREL, psychiatre et psychanalyste à l'ITTAC (Villeurbanne), s'est attaché à réfléchir sur l'épreuve inter-subjective du non, expérience fondatrice amenant l'enfant à accepter l'autorité de ses parents, transformée en surmoi par identification à l'agresseur. Expérience mettant en jeu les capacités de l'enfant et des parents à trouver un accordage affectif réciproque, expérience dont les échecs sont à l'origine de divers dysfonctionnements - dont les plus manifestes sont l'autorité parentale abusive ou l'autorité parentale défaillante.
Poursuivant cette approche psychanalytique, Jean BERGERET, psychanalyste à Lyon, insiste sur la nécessité de prendre appui, dans toute approche clinique, sur des repères théoriques clairs. Parmi ceux-ci figure la distinction entre deux registres de fonctionnement psychique : l'objectal et le narcissique. La rencontre interpersonnelle ne mobilise pas les mêmes enjeux dans les deux cas de figure. Dans le registre objectal, l'autre existe en tant qu'être humain ; dans le registre narcissique, tout se joue en termes de pouvoir, l'un des deux protagonistes est puissant et redouté, l'autre est faible, dépendant, dans la nécessité d'avoir recours, pour sa protection, à l'emprise ou à la séduction. Il ne s'agit plus ici de rivalité mais de lutte narcissique pour la vie, de confrontation existentielle.
Les toxicomanes suivis dans un cadre institutionnel par Claude ORSEL psychiatre à Paris, sont imprégnés de cette violence narcissique. Le rôle des thérapeutes, confrontés souvent à une véritable compétition transférentielle, est de les aider à s'approcher du traumatisme infantile qui a saccagé leur vie, et qu'ils s'épuisent à tenir caché. En osant dire leur dégoût ou leur peur, les soignants contribuent à remettre en marche la machine à penser de ces patients - ce qui un jour ou l'autre rendra leur recours aux produits toxiques moins nécessaire.
Ce gel de la pensée et cette paralysie de la parole, nous les retrouvons presque toujours à l'œuvre chez les proches - parents en particulier - d'un jeune sujet présentant soudain de graves troubles psychiques. Ils témoignent de l'intense angoisse qui les envahit devant cette irruption de l'irrationnel dans le cercle familial. Vincent DUBOIS, psychiatre à la Clinique universitaire St-Luc, à Bruxelles, nous décrit le dispositif soignant mis en place pour accueillir cette inquiétude familiale et lui permettre de se dire. Accueillir, maintenir les liens, permettre le retour de la parole, temporiser, voici ce que permet un tel cadre et une telle attitude. Ainsi peut s'éviter l'activisme thérapeutique, médicamenteux en particulier, qui obture toujours l'expression de la vie psychique des uns et des autres.
Il n'est pas toujours facile, pour ceux qui ont à gérer une équipe infirmière, comme c'est le cas de Brigitte CURVAT, cadre infirmier au Centre psychothérapique de l'Ain, de veiller à la sauvegarde chez chacun des membres de cette équipe, de cette même capacité de penser et de dire. Elle est en effet aujourd'hui davantage menacée par les exigences de la gestion technocratique que par les nuisances psychiques des patients. C'est pourquoi il est plus que jamais nécessaire de rappeler la finalité éthique de l'action de ces cadres infirmiers : apprécier toute décision concernant le fonctionnement de l'équipe infirmière en fonction de son impact sur le projet thérapeutique - malgré les impératifs à la mode qui donnent volontiers la priorité à la rationalisation des soins et aux précautions sécuritaires.
Ligne de conduite encore plus difficile à maintenir pour les soignants travaillant dans les lieux de détention, comme Cyrille CANETTI, psychiatre au CMPR de Fleury-Mérogis. Cet auteur développe, dans son exposé, les raisons de l'encombrement actuel des prisons par des détenus présentant une lourde pathologie psychiatrique : d'une part la modification législative des critères de responsabilité pénale et d'incarcération immédiate, d'autre part le consensus sur la vertu thérapeutique de l'énoncé de la loi et de la sanction, abusivement confondue avec celle de l'incarcération. Cette situation inquiétante justifie certes une augmentation des moyens soignants à l'intérieur de la prison, mais surtout une véritable organisation des prises en charges soignantes à la sortie de celle-ci - qui reste hélas encore à venir.
C'est de l'organisation des soins psychiatriques en Italie et de ses conséquences cliniques que traite le texte suivant, signé par Paolo D'ANGELI, directeur du département de santé mentale de la 20ème circonscription de Rome. Depuis la loi 180 ayant fermé les hôpitaux psychiatriques, l'unité de base de la psychiatrie, l'unité territoriale, doit faire face à tout patient qui se présente à elle et à tous les besoins de ce patient : soigner ses symptômes, le soutenir, l'aider à devenir citoyen, etc. L'objectif actuel des cliniciens italiens est de se dégager de cette situation d'emprise réciproque, de renoncer peu à peu à cet activisme clinique et social, d'accepter que leur pratique ait des limites - ce qui est un moyen de restituer sa vie au patient.
C'est une telle pratique, ayant accepté ses limites et sa place de maillon spécifique dans une chaîne de soins somatiques, qu'évoque le texte de Pierre FORESTIER, psychiatre et psychanalyste à l'Association "Santé Mentale et Communautés" (Villeurbanne). Cette pratique concerne les troubles de la parentalité. Elle cherche à faire entendre, dans l'univers technique des services de gynécologie et d'obstétrique comme dans les consultations de PMI, la petite musique de la subjectivité et de la vie psychique - faisant entrer discrètement le soignant psy dans la salle d'attente ou dans les salles de pesée…
C'est le même refus d'une prise en charge totalisante, ce même souci d'articuler une démarche soignante avec une autre qui lui est complémentaire, qui est perceptible dans le texte de Jacques DILL et Francis MAQUEDA, psychologues, consacré aux Communautés thérapeutiques de l'Association "Santé Mentale et Communautés" (Villeurbanne). Ces Communautés où vivent six patients souffrant de troubles psychotiques sont autant de "chambres à plusieurs vues" : l'objet soignant n'y est pas monolithique, le dispositif multipolaire permet un va-et-vient entre divers pôles soignants, très utile pour déjouer les pièges de l'omnipotence et éviter la capture narcissique. Grâce à un dispositif soignant original dont le groupe de vie est un élément essentiel, les patients peuvent s'y confronter à une autonomie non destructrice.
On peut relever cette même conception multipolaire du soin dans le travail d'Isabelle ADAM et Jean-Jacques MARTINEZ, infirmiers au CH Guillaume Régnier de Rennes. Dans le cadre de l'Association "Hermine", résolument distincte et distante de l'hôpital, ils proposent aux patients d'être membres actifs et responsables d'un club gérant des activités, ouvertes aussi bien aux patients hospitalisés qu'à ceux qui ne le sont pas, ouvert sur la cité, avec des intervenants culturels professionnels. Ici, chacun peut utiliser ses capacités à écouter, danser, chanter, jouer, écrire - dans de véritables activités qui ne sont pas de pseudo-activités, mais d'authentiques démarches culturelles.
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C'est sur l'évocation de l'activité de cette association "L'Hermine" que s'achève cette mosaïque de textes rassemblés autour du thème du malaise dans la psychiatrie. Pas trace de malaise dans ce dernier texte, dans cette évocation d'une pratique imaginée et réalisée hors de l'hôpital psychiatrique par des soignants structurellement liés à celui-ci, pratique débordante d'inventivité et de vitalité dont les patients, comme les soignants, sont les initiateurs et les gestionnaires.
Cet exemple apporte un élément de réponse aux interrogations implicites perceptibles tout au long de ce livre quant à la nature, l'origine et le devenir de ce malaise qui parasite la psychiatrie actuelle. Le libre usage des capacités de chacun dans le cadre de l'Association Hermine, n'est-ce pas ce dont, trop souvent, les soignants psychiatriques sont privés ? Leur esprit d'initiative est bridé par une idéologie soignante et une organisation des soins construites autour de trois objectifs : rentabilité - efficacité - sécurité. A tous les étages de la hiérarchie soignante, cette nouvelle idéologie lamine et limite l'esprit d'initiative, la créativité, la libre circulation de la vie. Faut-il, une fois encore, rappeler que la finalité du soin psychiatrique est la restauration de ce que la pathologie psychotique ou les malheurs de la vie ont mis à mal chez ceux qui s'adressent à nous : la capacité de penser, d'éprouver, d'assumer la réalité émotionnelle et matérielle de leur existence ? Comment les soignants pourraient-ils remplir cette mission si le système soignant ne leur facilite pas ou ne leur permet pas le libre exercice de leurs propres capacités à penser, à éprouver, à agir ?
Revendiquer avec vigueur pour les soignants ce libre usage de leurs capacités d'initiative, ce n'est pas infléchir gratuitement la réflexion dans une direction polémique. Il s'agit ici d'une question de fond. Notre politique sanitaire n'en finit pas de se réclamer d'une idéologie humaniste, et cependant, dans la pratique, elle montre jour après jour sa soumission aux impératifs à la mode : l'organisation, la rentabilité, l'efficacité au moindre coût. Les professionnels de la psychiatrie ne sont-ils pas les mieux placés pour dénoncer cette hypocrisie collective, cette contradiction entre discours et réalité ? En le faisant ils ne feront que défendre légitimement leur outil de travail, qui est justement constitué par cette liberté psychique, cette identité de sujet, cette capacité d'innover, de s'investir…ou de refuser de le faire. Lorsque dans une équipe soignante - et pas seulement chez un soignant - apparaissent la lassitude et l'ennui, c'est que cet outil de travail, le psychisme des soignants, ne trouve plus les conditions nécessaires à son libre usage.
Ce malaise-là a un remède : la remise en question du fonctionnement du dispositif soignant, pour que les soignants impliqués dans la clinique ne se vivent plus comme des exécutants mais comme des acteurs. N'oublions pas que ce qui soutient le narcissisme de chacun d'entre nous, ce n'est pas seulement la reconnaissance par les autres, mais aussi la reconnaissance par soi-même. La sensation du travail bien fait est un facteur essentiel de l'estime de soi. Lorsque le dispositif ne permet plus au soignant d'être satisfait de ce qu'il fait, le désinvestissement et le malaise sont inévitables.
Mais un partenaire social qui ne s'affirme pas peut-il être reconnu ? C'est seulement en étant convaincu de la légitimité de cette revendication que les soignants ont quelques chances de dépasser leur malaise et de lui trouver remède. Le moment est sans doute venu de dépasser la situation de consensus mou dans lequel s'enlise notre discipline depuis quelques années. Si tant de soignants psy sont désenchantés, déçus, mal à l'aise, c'est parce qu'ils ont de plus en plus de mal à mettre en pratique leur conception du travail soignant, celle dans laquelle la primauté est donnée à l'activité mentale, celle dans laquelle la relation entre le patient et le soignant est le socle du soin et le moteur du changement.
A nous tous incombe donc la tâche de défendre cette conception du soin, de montrer sa validité, sa pertinence, son utilité. De la transmettre aux nouveaux venus dans nos professions - eux qui sont désormais l'objet d'une formation orientée pour l'essentiel vers la dimension somatique ou biologique de la pathologie et du soin.
C'est un des objectifs de cet ouvrage.
Notes :
- Docteur Marcel Sassolas, psychiatre-psychanalyste. Président de Santé Mentale et Communautés, 136 rue Louis-Becker, 69100 Villeurbanne.
Contact
SMC
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- 136, rue Louis Becker
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